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Nicolas Ferry et son carrosse à chèvres


La renommée de l'infernal Monsieur Bébé

 


Pour beaucoup, les deux lettres B.B. ressemblent à une découverte cinématographie aimant les animaux, cependant, bien avant la deuxième moitié du XXème siècle, " Bébé " eut sa célébrité et défraya la chronique. A la cour des rois sa popularité fut immense et l'empêchait de passer inaperçu. A maintes reprises, il dut avoir recours à plus d'un stratagème pour échapper à la curiosité de la foule, ancêtres de nos modernes chasseurs d'autographes. A l'époque on s'arrachait son portrait auquel on attribuait les vertus d'un talisman. De nos jours encore, plusieurs musées en conservent jalousement quelques exemplaires (Nancy, Sarrebourg, Lunéville) et certains même en possèdent son mannequin (Colmar, Nancy, le Musée de la Faculté de Paris. A sa mort, les savants se disputèrent les secrets de son squelette, car Bébé, le nain de Stanislas, roi de Lorraine, le beau-père de Louis XV, resta avec ses 80 cm, à l'âge adulte, l'énigme de son siècle.

 

La vallée de la Bruche revendique à juste titre sa paternité puisqu'il naquit à Champenay, commune de Plaine, le 11 novembre 1741. A sa naissance, il atteignait à peine 20 cm et pesait une livre un quart, soit 25 grammes. Baptisé à la Plaine, le 14 novembre 1741, il reçut le nom de Nicolas. Les archives de la commune ont gardé l'acte de la cérémonie :

 

" Nicolas, fils légitime de Jean Ferry et Anne Baron, ses père et mère, a esté baptisé le 14 novembre 1741, a eut pour parrain Jean Thiébaut Dubois et pour marraine Marie Petit, qui ont fait leur marque.

 

Sebastien Pelletier, curé "

 

Selon la tradition, une assiette garnir de filasse lui servit de font baptismaux et, plusieurs années durant, il coucha dans un sabot rembourré. Sa bouche, quoique bien proportionnée par rapport à son corps, était trop petite pour que sa mère puisse le nourrir ; par contre, il parvint à téter une chèvre qu'on lui donna pour nourrice et qui s'acquitta fort bien de ses fonctions ; elle accourait d'elle-même à la voix de l'enfant. A six mois, il eut la petite vérole (variole) dont il guérit sans autre secours que les soins de sa mère et le lait de la chèvre. Il commença d'articuler quelques mots à l'âge de dix-huit moins. A deux ans, il se soutenait sur ses jambes et marchait presque sans aide : on lui fit alors des souliers qui n'avaient que 18 lignes de longueur (4,05 cm). Il était très joli et l'on accourait de loin pour l'admirer. Le roi de Lorraine Stanislas, qui venait de construire le château de Lunéville, dont une aile venait de brûler, entendit parler de lui aussi et tint à voir le prodige. Nicolas avec alors cinq ans, mesurait 15 pouces de haut (soit 40,4 cm) et pesait 6 kg. Il fit le voyage de Champenay à Lunéville dans un panier couvert d'un linge blanc. Le roi fut tellement enchanté qu'il demanda au père de l'enfant de le lui laisser et le petit montagnard fit, à partir de 1752, partie intégrante de la cour de Lunéville où l'on ne cessa de l'admirer. Le roi s'en amusait comme d'une poupée et le prénomma Bébé.

 

Le nain venait d'avoir ses six ans. Il n'avait pas grandi, mais pesait maintenant 13 livres. Il profitait de sa petite taille pour se cacher partout et s'amusait fort de faire chercher le roi qui s'inquiétait de sa disparition. Il aimait aussi se cacher dans les jupes des dames si bien que les femmes de la cour craignaient toujours d'écraser le petit personnage. Un jour, quatre servantes déposèrent sur la table royale un énorme pâté ayant forme d'une citadelle. Tout à coup, le haut se soulève et Bébé s'élance du pâté costumé en guerrier, casque en tête, le pistolet à la main, qu'il fit partir au grand effroi des dames. Cette prouesse, provocant l'hilarité de l'assistance, ne fit qu'accroître la popularité du nain et mit un comble à sa réputation. Tous les journaux de l'époque, en France, en Angleterre, en Belgique, en hollande, s'emparèrent du fait et firent de lui un héros de légende. Ceux qui ne pouvaient se permettre de l'approcher réclamèrent son portrait. Quelques audacieux cherchèrent même à l'enlever et pendant quelques temps le roi dut lui donner des gardes. Cela ne l'empêcha pas un jour d'échapper à leur surveillance, et de s'aventurer, seul, dans un champ de luzerne. Il s'y égara, se crut perdu et appela au secours jusqu'à ce qu'on vint le délivrer.

 

Bébé était maintenant un " grand " garçon de onze ans et mesurait un bon pied et demi de haut (48 cm environ). Le roi voulu lui donner une éducation brillante, mais il dut bien vite y renoncer à développer chez lui la raison ou le jugement. La princesse de Talmont qui s'était prise d'une grande amitié pour le nain n'y réussit pas davantage et Bébé ne put jamais apprendre à lire. En fait, Bébé, il faut bien de reconnaître possédait tous les défauts : entêté, coléreux, paresseux, jaloux, gourmand, sensuel, il ne lui en manquait pas un. Quand il avait une idée en tête, on ne pouvait le faire obéir qu'en lui promettant un costume nouveau ou quelque friandise. Le contrariait-on ? Aussitôt il cassait les verres et les porcelaines du roi, qui se contentait de rire de ses incartades. Il lui avait fait donner des habits de toutes les couleurs et de toutes les formes. Celui que Bébé portait avec le plus d'élégance était un uniforme de hussard. Bébé avait aussi reçu une très jolie calèche, attelée de quatre chèvres, qu'il conduisait dans les allées du parc. On lui donna également un hôtel en bois, haut de trois pieds (un mètre environ), qu'on installa dans une des pièces du château. Quand il était en colère contre le roi ou qu'il voulait lui résister, Bébé allait bouder dans son hôtel. Si le roi le faisait appeler, Bébé ouvrait la fenêtre et disait avec dignité :

 

" Vous direz au roi que je n'y suis pas ".

 

Il excellait dans le maniement des armes et les exercices militaires. Tout Lunéville allait le voir, certains jours de la semaine, habillé en grenadier, manier avec grâce l'esponton ou l'épée, dont le musée de Colmar possède un exemplaire, long de 20 cm. Un jour que les filles du roi Louis XV étaient en visite à Lunéville, Stanislas s'amusa à faire défiler son nain à la tête d'une compagnie de grenadiers. Bébé venait d'avoir quinze ans. Son corps avait l'allure d'un adulte dans la force de l'âge. Il avait considérablement grandi et atteignait près de 80 cm. Les portraits et mannequins que les musées conservent de lui datent de cette époque. Il est généralement représenté en tenue de bourgeois, la main droite sur la tête d'un chien qui paraît énorme à côté de lui. L'un de ses portraits est attribué au peintre lorrain Jean Girardet.

 

Il voulut se marier, la première fois avec une fille de Lunéville qu'on s'empressa de lui refuser ; la seconde fois avec une de ses compatriotes vosgiennes, d'une taille aussi petite que la sienne. Elle s'appelait Barbe le Sauvay et il en était tombé amoureux en voyant son portrait. La demande en mariage fut faite, mais n'eut pas plus de succès qu'avec la première fiancée, bien qu'ils fussent plus ou moins fiancé. D'elle, on ne sait pas grand chose, sinon qu'elle " monta " à Paris en 1819. On fit d'elle son portrait (où elle posait aux côtés de sa sœur aînée, un peu plus grande qu'elle) qui portait l'inscription suivante :

 

" Madame Bébé, âgée de 73 ans, taille de 32 pouces (86,5 cm) et sa sœur âgée de 75 ans, taille 39 pouces (1,05 m), nées dans les Vosges. Lithographie de C. Molte. "

 

Cependant devant son insuccès, le nain entra dans une colère violente et santé commença à s'altérer. Il tomba malade ce qui le fit grandir encore d'une vingtaine de cm au cours des années suivantes. Son corps présenta dès lors toutes les formes du rachitisme et dès l'âge de vingt ans, l'apparence de la décrépitude sénile.

 

Sur ces entrefaites, Mme Humircka, une vague cousine polonaise du roi Stanislas fut invité à la cour de Lunéville. Elle arriva le 1er décembre 1759 et y séjourna un mois. Elle était accompagnée de son nain, Joseph Boruslawski (qu'elle appelait Joujou), né en novembre 1738, donc l'aîné de Bébé. Malgré cela, il n'avait pas plus de 28 pouces alors que Bébé en avait alors 29. Les deux nains furent mis en présence. Joujou s'excusa poliment de l'emporter en exiguïté,

 

" Je suis fâché, Monsieur, que la nature m'ait fait plus petit que vous. Vous ne devez, vous en prendre qu'au hasard " lui dit-il.

 

Mais Bébé, tout contrit, répondit avec amertume "que la maladie l'avait fait grandir", puis en boudant, il se retira dans son hôtel.

 

" Il en crève de chagrin de se voir effacé par ce nouveau petit homme a qui le roi et la cour ont fait mille caresses " nota un témoin.

 

En effet, les cajoleries de Boruslawski, les gronderies de son maître qui lui vantait l'intelligence et l'agrément de ce rival comparé à la sottise morose achevèrent d'ulcérer l'infortuné nain. Si bien qu'un jour, se trouvant seul avec Joujou près d'une cheminée, Bébé le prit traîtreusement à la taille et essaya de le jeter au feu. L'assailli sut se défendre. Averti par le bruit, Stanislas intervint à temps et fit administrer une correction au coupable. Joujou, dans ses " mémoires ", raconte son séjour à Lunéville et ses démêlés avec Bébé, à qui il n'a gardé aucune rancune. Il eut de son côté une existence longue et mouvementée : il quitta sa protectrice se maria et eut des enfants. Il voyagea par la suite dans toute l'Europe, s'exhibant et donnant des concerts. Georges IV s'intéressant à lui, il passa en Angleterre où il vécut longtemps. Le 5 septembre 1837, il mourait à Durban, à l'âge respectable de 98 ans.

 

Après le départ de son rival, Bébé a retrouvé toute la joie de vivre à la cour. En 1763, il accompagne le roi Stanislas à Versailles et séjourne à Paris. On le reconnaît, on le fête, on l'acclame. Il lui est impossible de faire un pas sans être entouré de curieux. C'est un " Monstre sacré ". Un jour, il sortait seul de la rue Dauphine et se dirigeait vers le Pont-Neuf. Comme d'habitude, il fut reconnu et pressé par la foule. Pour y échapper, il fuit aussitôt sur le quai de la Vallée et s'engagea dans la rue des Grands-Augustins où il disparut. Une grosse botte exposée devant la boutique d'un cordonnier, lui avait servi de refuge, le protégeant juste ce qu'il fallait de l'enthousiasme de ses admirateurs. Au faite de la gloire, ses forces déclinèrent. Sa vingt-deuxième fut la dernière de sa vie. Il paraissait vieux et accablé ; son corps se voûtait et il pouvait à peine faire cent pas de suite. Au mois de mai 1764, un rhume l'abattit. Il eut un peu de fièvre et tomba dans une espèce de léthargie qui lui coupa la parole. Il mourut le 8 juin 1764, âgé de près de vingt-trois ans. Il avait alors 33 pouces de hauteur. Son acte de décès est conservé à la mairie de Lunéville (paroisse Saint-Jean) [il convient d'observer que, dans le duché de Lorraine, la majorité n'était atteinte qu'à l'âge de vingt-ans] :

 

" L'an 1764, le huitième juin, à huit heures du soir, est décédé en cette paroisse (Saint-Jean) Nicolas Ferry, fils mineur de Jean Ferry et d'Anne Baron, après s'être confessé et avoir reçu les viatiques et l'extrême-onction. Son corps a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse, avec les prières ordinaires, en présence des témoins soussignés.
N. Le Roy, curé.
"

 

Tel fut Bébé, dont la popularité dépasse de loin les frontières de la France et survécut à sa mort. Buffon dans son " Histoire Naturelle " lui consacrera un chapitre et, de nos jours encore certains dictionnaires citent son nom.

 

  

Bébé fait partie de l'Histoire.

Son squelette est encore visible au Musée de l'Homme à Paris, et les galeries de la faculté de Médecine de Paris possèdent toujours son effigie en cire, le représentant habillé à la mode de Louis XV. Parmi ses nombreux portraits, retenons seulement celui du Musée de Lunéville, offert par M. Germain Charrier, un bienfaiteur de la ville.

 

 

 

 



12/03/2011
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